Le Poison du Jugement
On traverse la vie en croisant des visages, en entendant des histoires, en observant les autres sans jamais réellement les voir. Et pourtant, on parle, on commente, on juge. Comme si nous étions épargnés par l’erreur, comme si nos propres failles n’existaient pas. Nous regardons les autres comme des vitrines brisées, mais nous refusons de voir que la nôtre est fissurée depuis longtemps.Quand une personne divorce, on murmure, on analyse, on décortique. On ne se demande pas ce qu’elle a vécu, on ne pense pas aux nuits passées à pleurer en silence, aux sacrifices faits dans l’ombre, aux batailles qu’elle a menées seule. Non, on se contente de dire qu’elle n’a pas su garder son couple, qu’elle n’a pas fait assez d’efforts. Comme si l’amour était une simple équation dont nous détenions tous la solution.Quand une femme brisée ose parler, quand elle libère le poids des années d’abus, de manipulation, d’humiliation, au lieu de l’écouter, on la juge. On lui reproche d’avoir trop attendu, d’avoir toléré l’intolérable, comme si la souffrance était toujours facile à quitter. On préfère voir une coupable plutôt qu’une victime, parce que c’est plus simple, parce que ça nous évite de nous poser les vraies questions.Un enfant crie, court, se débat… immédiatement, les regards se figent sur lui, remplis de reproches silencieux. On soupire, on lève les yeux au ciel : "Quel caprice !" pense-t-on. On ne cherche pas à comprendre, on ne voit qu’un trouble, un comportement dérangeant… Cependant, sait-on seulement ce qu’il vit ? Sait-on si ses nuits sont hantées par des peurs invisibles, si son esprit est prisonnier d’angoisses qu’il ne sait pas nommer ? Et ses pauvres parents, épuisés, qui luttent jour après jour pour lui offrir un semblant d’équilibre, qui s’efforcent de l’aider sans toujours trouver la clé... Qui pense à eux ? Plutôt que la compassion, on leur offre le jugement : "Ils ont échoué, ils ne savent pas éduquer leur enfant !" Comme si l’éducation était une science exacte, comme si chaque enfant était un moule parfait qu’il suffisait de remplir.Deux amis se disputent et au lieu d’apaiser, on souffle sur les braises. On ne cherche pas à comprendre, on ne tente pas de réconcilier, on choisit un camp, on rajoute du venin, comme si voir une amitié s’effondrer nous procurait une satisfaction malsaine.Une femme décide de refaire son nez, de corriger une insécurité qui la ronge depuis des années et aussitôt, on commente. "Elle n’assume pas son visage." Une autre, au contraire, est belle sans artifices et on murmure que c’est du faux, qu’elle a sûrement touché à la chirurgie. Toujours un mot pour détruire, jamais un mot pour apprécier. Pourquoi est-il si difficile de simplement voir la beauté, de reconnaître le courage, d’accepter que chacun a son propre chemin ?Savez-vous une chose ? La pire des illusions, c’est celle du miroir. On ne se regarde pas... on ne se questionne pas et on ne se demande jamais si nous sommes exempts de tout reproche. Pourtant, si on prenait le temps d’observer nos propres failles, si on osait se voir tels que nous sommes, imparfaits, fragiles, humains… peut-être que nous apprendrions enfin à laisser les autres exister sans leur jeter la première pierre.Avec tout mon respect, Nadia B.